Publié en 2016 aux éditions Random House (La Table Ronde pour la traduction française)
Nord de la Californie, fin des années 1960. Evie Boyd, quatorze ans, vit seule avec sa mère. Fille unique et mal dans sa peau, elle n’a que Connie, son amie d’enfance. Lorsqu’une dispute les sépare au début de l’été, Evie se tourne vers un groupe de filles dont la liberté, les tenues débraillées et l’atmosphère d’abandon qui les entoure la fascinent. Elle tombe sous la coupe de Suzanne, l’aînée de cette bande, et se laisse entraîner dans le cercle d’une secte et de son leader charismatique, Russell. Caché dans les collines, leur ranch est aussi étrange que délabré, mais, aux yeux de l’adolescente, il est exotique, électrique, et elle veut à tout prix s’y faire accepter. Tandis qu’elle passe de moins en moins de temps chez sa mère et que son obsession pour Suzanne va grandissant, Evie ne s’aperçoit pas qu’elle s’approche inéluctablement d’une violence impensable.
L’histoire racontée par The Girls pourrait atteindre les sommets du glauque, de l’horreur et du voyeurisme. Largement inspiré par l’affaire Manson, le roman retrace les mois qui ont précédé le drame à travers le regard d’Evie, une jeune ado fascinée par ces filles qui vivent aux côtés de Russell, le leader du groupe. Seulement, on a beau chercher, l’horreur ne se trouve pas dans les pages du livre. On y trouve le portrait d’une adolescente emportée par son envie d’échapper au quotidien décevant offert par sa mère et son amie bien rangée pour rejoindre ces « filles » libres et sûres d’elles. Rien ne gêne Evie dans le ranch de Russel, ni la crasse, ni les vols perpétrés pour faire vivre le groupe, son regard altère la réalité pour lui offrir ce qu’elle demande : de l’amour, de l’attention, une raison d’exister. L’atmosphère reste malsaine, j’ai eu envie de rester dans le roman d’Emma Cline tout en étant parfois mal à l’aise dans cette ambiance très particulière et pourtant si prenante.
« I waited to be told what was good about me. I wondered later if this was why there were so many more women than men at the ranch. All that time I had spent readying myself, the articles that taught me life was really just a waiting room until someone noticed you – the boys had spent that time becoming themselves. »
Emma Cline interroge beaucoup la situation des femmes américaines dans la fin des années 1960. Le mouvement hippie tend à les libérer et pourtant, c’est sous la coupe de Russel que toutes ces filles évoluent. Le chef reste un homme qui connaît assez bien les jeunes filles pour les manipuler à la perfection. Il accueille les filles comme si elles étaient attendues, leur offre juste assez d’attention pour les fasciner et les soumettre. Pourtant, le véritable gourou d’Evie n’est pas Russel mais Suzanne. Suzanne, la fille aux cheveux noirs qui ne perd pas en élégance sous des vêtements sales et dont les véritables sentiments restent souvent un mystère. C’est elle qui captive Evie et qui lui fait découvrir le ranch, elle qui la fait rester, et qui la fait fuir quand le pire se produit. Le sentiment qu’éprouve Evie n’est pas de l’amitié, mais une forme d’amour et de dépendance inexplicables, un genre de sentiment que j’aurais presque tendance à catégoriser comme purement adolescent.
« I was eager for our encounters, eager to cement my place among them, as if doing what Suzanne did was a way of being with her. »
The Girls laisse aussi la place à un autre regard : celui de l’adulte que devient Evie. Les chapitres se tenant des années plus tard lui offrent la possibilité de prendre du recul mais aussi de se retrouver à travers le personnage de Sasha, une jeune fille qui vient partager, accidentellement, son quotidien pendant quelques jours. Evie se retrouve à travers Sasha dans ces comportements d’ado en quête d’une attention que ses parents ne parviennent pas à offrir. Des années plus tard, rien n’a véritablement changé.
« Poor Sasha. Poor girls. The world fattens them on the promise of love. How badly they need it, and how little most of them will ever get. […] Then the dreams are taken away with such violent force; the hand wrenching the buttons of the jeans, nobody looking at the man shouting at his girlfriend on the bus. »
Je pense qu’à travers cette chronique maladroite, vous pourrez déjà deviner que ce premier roman a été un coup de cœur pour moi. Emma Cline a su dresser un portrait de l’adolescence d’une justesse à couper le souffle en s’appuyant sur ce drame. J’ai vu passer certaines critiques reprochant à l’auteure de s’inspirer de Manson tout en changeant les noms et quelques éléments du drame, pourtant, c’est ce qui permet au roman d’atteindre un caractère plus universel à mes yeux. Les sentiments des filles de Manson sont ceux des ados perdus qui laissent leur violence se déchaîner. Il ne faut pas chercher bien loin pour trouver aujourd’hui d’autres ados prêts à tuer et à mourir pour une cause qui leur offre de l’attention et qui les délivre de l’ennui du quotidien…
Tes derniers mots sont percutants. Ta chronique entière l’est d’ailleurs.
C’est un roman dont en entend à plus en plus parler, ici et à l’étranger et bien sûr il m’intrigue. Ta chronique me convainc de lui laisser une chance !
Merci, j’ai essayé de rendre honneur au roman mais ce n’était pas facile. Je t’encourage vraiment à le lire, je pense qu’il pourrait beaucoup te plaire aussi :).
Cela a l’air d’être un roman très fort et puissant, vu comment tu en parles. Il m’intrigue et j’ai cru l’avoir vu dans les propositions du prochain Masse Critique, je tenterais donc ma chance!
Merci pour cette critique!
Tu me rappelles qu’il faut encore que je trouve le temps de découvrir toute la sélection Babelio, elle est immeeeense ! (tant mieux) J’espère que tu pourras le remporter, il vaut tellement la peine d’être découvert, j’ai pas les mots.
Bon du coup, ce n’est pas The Girls que je vais recevoir par Babelio…je vais essayer de le trouver ailleurs du coup, mais la lecture, si elle attendra un peu, sera faite. Je pense qu’il s’agit d’un des romans qui comptent de la rentrée littéraire 2016!
Ah, dommage, ça profitera à quelqu’un d’autre alors :p. Je pense qu’effectivement il s’agit d’un roman qu’il ne faut pas louper pour cette rentrée littéraire, en tout cas parmi les quelques livres de la RL que j’ai lu pour l’instant c’était le meilleur (et c’est le meilleur de mon année 2016 d’ailleurs).
Oh là tu me fais envie !! Et en plus en VO… je vais de ce pas me renseigner, merci 🙂
Si tu trouves un moyen de le lire ce serait super cool <3. Je pense qu'il te plairait ! Il est dispo en français aussi si tu changes d'avis pour la VO :).
Après avoir lu chez toi, chez Eden et enfin chez Emma je ne résiste plus… et viens de commander ce livre en VO ! 🙂 J’ai hésité un peu, lu les incipits de chacun (VF et VO ) et je me suis dit que malgré la langue très poétique qui allait me donner du fil à retordre, j’apprécierais de découvrir cette poésie dans sa langue originelle. A mon avis je vais en baver pour tout comprendre, mais tant pis si je le lis en plusieurs fois. Il a l’air vraiment génial, j’ai hâte !
Eden a écrit un article dessus ? J’ai dû le louper !
Je suis trooop contente que tu le tentes ! J’ai hâte de lire ton avis, j’espère vraiment qu’il te plaira autant qu’à Emma et moi. C’est quand même abordable en VO, en tout cas je l’ai trouvé moins difficile que 127 heures :p.
Coucou ! Justement j’allais t’envoyer un message pour te demander quel était le niveau de « difficultés » en VO et ce que tu écris me rassure :). ça fait quelques temps que je n’ai pas lu en Anglais donc ça va peut-être être un peu laborieux au début, mais je pense que ça va aller !
Et je viens de le recevoirrrrr !! Plein de romans pour le défi Babelio à lire avant, mais je trouverai le temps :p
Et PS : c’est moi qui radote, j’ai confondu Eden et… un autre blog sur lequel j’ai vu un avis sur ce livre, mais alors lequel….
Désolée, le grand âge ^^
Oups désolée j’ai validé tous les commentaires avant de voir ta précision dans la dernier, je l’ai retiré après ^^ ».
Rassure-toi pour la VO, ce n’est pas ta première lecture en anglais non plus :p. N’hésite pas à me dire ce que tu en penses pendant ta lecture si ça te dit !
Je me disais bien, je l’aurais quand même retenu si Eden avait écrit dessus, je suis tellement à fond sur les chroniques qui sortent sur ce roman x).
Je suis en train de le lire et, tu as raison, il est vraiment très fort…
Je suis super contente que tu le lises, j’ai hâte de lire ta chronique au sujet de ce livre ! Si tu es déjà entraînée dans l’histoire et le style ça m’étonnerait que la fin puisse te décevoir.
J’avais attendu d’écrire ma chronique avant d’écrire la tienne. J’avais peur d’être inconsciemment influencée ^^ En tout cas je te rejoins sur un autre point (autre que ce roman est vraiment excellent), c’est que c’était difficile d’écrire sur ce livre ! En tout cas tu t’en sors très bien. J’ai beaucoup aimé ta chronique, et si je n’avais pas déjà lu The Girls, je l’aurais noté dans mes livres à lire ! On partage le même avis sur ce roman. Emma Cline a réussi à parler de la secte de C.Manson tout en parlant de l’adolescence en général et du coup ça peut parler à tout le monde. Et ça montre à quel point on peut facilement se laisser influencer et faire des horreurs, juste pour un peu d’amour et d’attention. Le personnage de Suzanne m’intrigue aussi, car on ne sait pas réellement quelles étaient ses intentions, et je trouve ça judicieux de la part d’Emma Cline de laisser planer le mystère sur ce point. Mais je m’arrête là sinon je vais trop en dire et gâcher la lecture des lecteurs qui auront été convaincus par ta jolie chronique 🙂
Je comprends, c’est parfois difficile de se détacher de ce qu’on a lu chez les autres ! Le personnage de Suzanne est vraiment très bien développé, j’étais presque autant fascinée par elle qu’Evie à certains moments. Maintenant je me demande quand est-ce que je lirai un livre qui aura le même impact, bientôt j’espère…
Ce livre m’intéresse depuis un petit moment ! J’espère qu’il me plaira autant qu’à toi. En tout cas, ta chronique me conforte dans mon idée de découvrir ce roman !
J’espère également qu’il te plaira, si les sujets de l’adolescence et de la condition féminine te touchent particulièrement c’est le roman idéal.